Nearby Café Home > Art & Photography > Liu Xia: Silent Strength

Categories

A sample text widget

Etiam pulvinar consectetur dolor sed malesuada. Ut convallis euismod dolor nec pretium. Nunc ut tristique massa.

Nam sodales mi vitae dolor ullamcorper et vulputate enim accumsan. Morbi orci magna, tincidunt vitae molestie nec, molestie at mi. Nulla nulla lorem, suscipit in posuere in, interdum non magna.

Cui Weiping (French)

Cui Weiping

Cui Weiping

Communiquer par les gestes

Par Cui Weiping, professeur à l’Académie du cinéma de Pékin

Novembre 1996, au nord de la Chine, le camp de travail de Dalian. Une scène inhabituelle : la célébration d’une union. Le jeune marié, Liu Xiaobo, est envoyé à Dalian peu de temps après son arrestation, pour purger trois années de rééducation par le travail.

La jeune mariée est Liu Xia, une poétesse de Pékin. Proche de Liao Yiwu,[1] condamné à quatre ans de prison en 1990 pour la publication du poème « Massacre » et la diffusion d’un documentaire réalisé dans le cadre de la commémoration de la répression tragique du 4 juin 1989, elle perd son emploi et devient une écrivaine indépendante.

Leur mariage ? Un simple déjeuner. « Lorsque nous nous sommes mariés, nous n’avons pas reçu de livret de famille, nous n’avons obtenu aucune garantie légale, et même Dieu ne nous a pas remarqués. Comme un arbre perdu dans le désert, notre chambre nuptiale fut une cellule de prison. Nous nous sommes enlacés, nous sommes embrassés, sous le regard des gardiens. ». Ces quelques lignes écrites par Liu Xiaobo sont les premières de nombreux poèmes qu’il envoie à son épouse pendant ses trois années de détention. Ils passent d’abord par la censure de la prison avant de parvenir à Liu Xia.

Soumis à une surveillance étroite, Liu ne peut poursuivre son œuvre de penseur politique. Il décide alors de libérer ses sentiments autrement, en écrivant des vers bouleversants destinés à son épouse.

« Ma chérie, je suis ton prisonnier pour la vie, et je voudrais vivre à tout jamais dans ton ombre. »

Liu Xia écrit depuis longtemps. « L’Histoire de la mer », poème récitatif, paraît dans une revue littéraire en 1982. Quatre ans plus tard, elle publie un roman d’avant- garde, qui attire l’attention des jeunes auteurs chinois. Dans cette période de glaciation politique, la jeunesse se passionne pour les beaux- arts, la littérature. Elle tente d’exprimer ses aspirations à une vie libre par la création. Autour de Liu Xia, s’agite un groupe d’artistes et d’écrivains modernistes.

Liu Xia commence sa série de photos autour des poupées alors qu’elle se rend chaque mois auprès de son mari détenu. La similitude est troublante… Le choix de ce médium lui donne une nouvelle liberté d’expression, qui n’éveille pas « le regard soupçonneux des policiers », chargés de la censure.

Artiste sensible et humble, elle se décrit elle-même comme « un personnage malheureux et fragile ». Liu Xia joue à cache-à-cache avec elle-même : l’art de la prise de vue, l’art de la prise de risque. Les poupées sont toutes de « vilains bébés », elle ne souhaite pas travailler une matière faite de jolies figurines blondes aux yeux bleus. Cette laideur délibérée est un révélateur : elle dévoile le moi sombre de l’artiste, « cela permet d’entendre toutes les voix qui hurlent au fond de ses tripes, et qui sont parfois le bruit de l’effondrement ».

Les corps des poupées sont entravés et semblent passifs. Curieuse alchimie : l’esprit reste intact, le sentiment de colère et de résistance est libéré.

Dans la photo page 14 (01), quatre poupées sont alignées et enveloppées dans un plastique transparent. Elles ne peuvent plus respirer. Elles étirent encore le cou pour regarder leur interlocuteur avec des yeux furibonds.

Dans la photo page 40, la poupée se retrouve dans un paysage désertique, écrasée par de gros rochers. Pourtant le regard est clair, combatif.

Un sentiment de captivité se dégage des photos pages 41, 42, 43 : la poupée est emprisonnée dans une main, enfermée dans une cage à oiseaux, coincée entre deux bambous sans pouvoir se dégager.

Le public pourra s’attarder sur une poupée de garçon : Liu Xia tente ainsi de se rapprocher, de comprendre ce que vit son époux prisonnier. Elle signe sa vision de l’enfermement, son état d’esprit : recluse dans son propre environnement.

Liu Xiaobo et Liu Xia sont « siamois », les deux caractères s’accordent, les deux âmes s’épousent. Dans les photos page 21 (08) et page 44, la même poupée est suspendue en l’air, les tortures subies en plein ciel présentent une approche différente. Elle a perdu sa liberté au nom de la Liberté.

L’artiste présente parfois deux poupées, fille et garçon, dans une même scène, comme dans la photo page 45 : les barreaux d’une chaise symbolisent une cage, la poitrine du garçon est entravée tandis que la fille semble aspirée dans les entrailles de la terre. Le couple est-il représenté ?

Le 2 juin 1989, 48h avant les événements tragiques, Liu Xiaobo a entamé une grève de la faim sur la place. Liu Xia lui écrit : « Je n’ai pas pu venir te dire quoi que ce soit. Tu es devenu un personnage médiatique… Je n’ai plus qu’à me dissimuler à l’extérieur du cercle qui t’entoure, pour fumer une cigarette en regardant le ciel. »

La photo page 46 : les poupées – garçon et fille –sont séparées par une colonne symbolisant la porte de la Paix céleste. L’une pousse un cri, l’autre se tient sur le côté et regarde en silence. La représentation d’une situation vécue par le couple ce jour- là, sur cette place-là : une douleur intime et la douleur nationale du 4 juin 1989.

Dans les photos page 18 (05), page 19 (06) et page 47, les fantômes sans visage sont emballés soigneusement. Ils représentent sans doute une forme de deuil profond à l’égard des victimes défuntes du « 4 juin », comme la photo page 48, remplie de bougies.

« Lorsque je me trouve seule, je te vois souvent me tenir la main, et nous parcourons un livre après l’autre, alors mon cœur se remplit de chagrin. », écrit Liu Xia en février 1997. La littérature comme source de vie et espace de liberté partagé, est présente dans la photo page 49 : un petit homme se tient entre deux rangées d’ouvrages. Il s’agit de la vie que menait Liu Xiaobo avant son incarcération, capable de lire, livre après livre ; de celle que vit Liu Xia pendant ses trajets entre Dalian ou Pékin, un livre à la main.

Liu Xiaobo était autorisé à lire Dostoïevski, Thomas Mann, Kafka pendant ses années passées en camp de rééducation. La photo page 28 (15) nous montre une poupée ligotée et agenouillée devant un immense livre ouvert, une autre représente une poupée mâle grimpée sur des échasses avec l’index de la main gauche tournée vers une pile de livres, comme pour dire : « Voilà le coupable », ou « La cause de tout se trouve ici ». Il s’agit d’ouvrages d’auteurs américains (Emerson, Thoreau, Edgar Allen Poe), qui ont si fortement inspiré Liu Xiaobo, page 50.

Entré en rupture avec la tradition chinoise dans sa jeunesse, Liu Xiaobo exprime alors de vives critiques à l’égard de la culture traditionnelle. Il partage de nombreux points communs avec le personnage le plus représentatif du mouvement de la nouvelle culture chinoise, Lu Xun (1881-1936). Ce dernier écrit dans l’un de ses romans : « Deux mots ressortent bizarrement tout au long de notre histoire : Manger les hommes ». Cette phrase célèbre est une dénonciation du système dictatorial et de la culture politique traditionnelle de la Chine. Dans les photos pages 24 (11), 51 et 52, les poupées sont empêtrées dans des pictogrammes. On dirait qu’elles tirent la langue mais elles ne peuvent émettre un son. Leur expression est figée, presque cadavérique. Et ce protagoniste, page 53, coincé entre les pans d’une lourde porte de métal. Ces scènes expriment une relation tendue avec la culture traditionnelle de la Chine impériale. La situation est ici paradoxale : ce sont souvent ceux qui éreintent le plus la culture traditionnelle, qui, au fil du temps, en deviennent les représentants les plus absolus, car ils ont su l’enrichir de nouvelles perspectives.

Liu Xiaobo a dû voir quelques-unes des photos pendant son incarcération, il les mentionne dans un poème écrit quelques mois avant la fin de sa peine (31 août 1999). « Adressé aux poupées » est offert à Liu Xia, qui joue tous les jours avec son théâtre de poupées : « Je voudrais dire aux poupées qu’il vaut mieux ne pas s’attacher trop aux sentiments profonds. Il suffit de garder les noms, et de laisser tomber les faits qui leur correspondent. »

« Mais ce que tu espères renverser avec tes poupées, ce ne sont finalement que tes propres poèmes. »

Ces photos sont une façon de s’exprimer, une façon de se cacher également, c’est « de la contrebande ». Les poèmes de Liu Xiaobo ne peuvent pas être publiés en Chine, les photos de Liu Xia ne peuvent y être exposées.

Cette série de photos est un vigoureux appel à la liberté des esprits.


[1] Écrivain de la province du Sichuan, Liao Yiwu a été édité en français par les éditions Bleu de Chine (L’Empire des bas-fonds) et Buchet-Chastel (Quand la terre s’est ouverte au Sichuan).

(Ceci est l’essai écrit spécialement pour le catalogue de la première à Paris en Octobre 2011 de l’exposition “La force silencieuse de Liu Xia.« Droit d’auteur © 2011 par Cui Weiping. Tous droits réservés.)

Leave a Reply

You can use these HTML tags

<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>